La Chute de la maison Usher : Karma Sutra

27 décembre 202379/1001095

Ne manquez plus rien !

 

Sortie
12/10/2023
Plateforme
Netflix
Créateur
Mike Flanagan
Saison
1
Épisodes
8
Acteur(s)
Carla Gugino, Bruce Greenwood, Mary McDonnell
Taux de réussite
Répartition
Scénario/dialogues
70%
Réalisation
80%
Acting
95%
Décors
80%
Musique/Son
70%
Avis en bref
Une série qui traine un peu en longueur dans sa mise en place, mais qui monte en puissance au fil des épisodes, jusqu'au final, qui tape très fort. Une mini-série horrifique qui est un peu plus que cela, tant elle a des choses à dire sur l'argent, le pouvoir, la société de consommation et plus globalement sur le capitalisme. À voir absolument.
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Depuis le 12 octobre 2023, Netflix propose une série inédite adaptée des écrits d’Edgar Allan Poe : La Chute de la maison Usher (The Fall of the House of Usher en VO).

La mini-série de 8 épisodes est signée par un spécialiste de l’horreur, Mike Flanagan, derrière The Haunting, Sermons de minuit ou encore Doctor Sleep, la suite non officielle du cultissime Shining. Pas terrible, d’ailleurs.

Just another brick in the wall…

Mike Flanagan donne le ton d’entrée de jeu, sur du Pink Floyd : “Hey, teacher, leave them kids alone, All in all, it’s just another brick in the wall”. Vous comprendrez la réf’… La série s’ouvre sur un plan de trois cercueils noirs, alignés, dans une église à l’ambiance gothique. Puis, second plan sur un homme visiblement affaibli et emprunt à des visions d’horreur. Il voit tous ses enfants mourir dans des conditions ignobles…

Cet homme, c’est Roderick Usher, milliardaire à la tête d’un empire pharmaceutique (Fortunato) qu’un procureur nommé Dupin tente de démanteler, en mettant en lumière les errances de l’entreprise en matière de santé publique. Le médicament phare de la boîte, le Ligodone, un analgésique ultra addictif, est accusé de provoquer chez les patients qui en ingèrent de sérieux troubles et même la mort. Mais ce produit fait aussi fonctionner la machine à cash. Alors pas question pour la maison Usher de s’en séparer.

Certes, le pitch est un peu cliché, mais reste très efficace.

D’autant que la fiction est proche de la réalité, au regard du nombre d’affaires qui ont éclaboussé le secteur pharmaceutique. Par exemple, le Médiator, médicament du groupe Servier, est accusé d’avoir causé la mort de 1.500 à 2.100 personnes en France, sans compter celles qui souffrent des conséquences des effets secondaires.

Roderick est le patriarche de la famille, du moins en apparence. Il est fortement influencé par sa sœur jumelle, Madeline, dont l’expression faciale n’inspire aucune amabilité. Coureur sur les bords, il a batifolé à droite à gauche pour finir avec le joli score de 6 enfants. Les deux premiers se considèrent de « sang pur » et supérieurs aux quatre autres, ce qui augure une chouette ambiance autour de la dinde de Noël. La jalousie ronge la famille, dont ses membres n’ont de commun que le nom.

On s’en doute, le destin des personnages qui s’affichent à l’écran dès les premières minutes sera funeste. Sur ce point, le suspens n’est pas ménagé. Pas de temp à perdre. On se doute aussi que les agissements de Roderick et Madeline sont douteux. À la tête d’une entreprise qui fait de la souffrance son gagne-pain, ils ont forcément du sang sur les mains. C’est inexorable, ils vont payer les conséquences de leurs actes et nous allons assister à leur chute. La série porte bien son nom.

Que vaut La Chute de la maison Usher ?

Les 20 premières minutes sont captivantes, bien filmées, bien narrées. On entre tout de suite dans l’histoire et on est soufflé par la première scène horrifique. Accrochez-vous… Car la mise en scène est maîtrisée, Flanagan mobilise tout son savoir-faire pour nous faire flipper. C’est dans ce registre qu’il est le meilleur. Certains plans sont créatifs, chaque angle étant étudié pour insérer un Jump Scare (ou pas, d’ailleurs), la musique tabasse quand il faut et son absence est tout aussi efficace pour générer de l’angoisse. Autant vous prévenir, certaines scènes sont particulièrement gores. L’une d’entre-elles est à la limite de l’insoutenable. Âmes sensibles, s’abstenir.

Après cette introduction percutante, la série marque un temps d’arrêt et s’enlise dans des dialogues verbeux. Le développement des personnages devient un poil caricatural. L’ensemble est dense et s’éparpille dans le trop plein d’informations. Malgré quelques fulgurances, il faut s’accrocher pour ne pas décrocher. Cette sensation de ventre-mou s’étale sur les trois premiers épisodes.

La suite vaut le coup

C’est lorsqu’elle resserre son étau autour de quelques protagonistes que la série devient meilleure et plus fluide. En fait, il faut attendre que les premiers enfants se fassent zigouiller pour prendre son pied.

La série se réanime quand elle tue : ce sont les scènes de mise à mort qui égratignent le plus la rétine et maintiennent en haleine (bon courage pour la séquence de la mort du cadet de la famille, dans l’épisode 2, bien moche).

La série se calme dans ses allers-retour entre les différents personnages pour se concentrer sur la psychologie des principaux, et sur l’intrigue elle-même. Elle nous plonge dans sa thématique principale : les méandres des péchés humains et leurs conséquences inévitables. Tout s’enchaîne, tout s’effondre, comme un château de cartes. Et c’est jouissif.

Les acteurs principaux sont impeccables, à commencer par Bruce Greenwood qui incarne Roderick Usher. Et pourtant… L’acteur a tourné dans des conditions très particulières, puisqu’il a remplacé au pied levé Frank Langella, initialement casté pour le rôle. Accusé d’harcèlement sexuel, l’équipe de production a du revoir son plan de vol et recruter un autre acteur : Bruce Greenwood. La majorité des séquences où il apparaît sont des reshoots. Ce qui signifie que l’acteur a dû jouer seul, alors qu’il donne à l’image la réplique à ses enfants, à sa soeur, ou au procureur Dupin. Chapeau, l’artiste.

La performance de l’actrice Carla Gugino, l’une des muses de Mike Flanagan, qui incarne Verna, est de haute volée. Elle terrorise tout le monde. À noter également la présence au casting de Mark Hamill, dans le rôle d’un avocat qui ressemble davantage à un croquemort.

Un pour tous, tous pourris

Les Usher sont tous des pourritures, sans exception. À leur manière. Le patriarche se prend pour le docteur Frankenstein, Madeline ne vit que pour le pouvoir et l’argent, et les enfants ne recherchent qu’une seule chose : l’estime de leur père, Roderick. Quitte à être complètement fadas dans ce qu’ils entreprennent. Ils sont excessifs et rongés par les addictions : sexe, alcool, drogue… Tamerlane aime regarder son mari copuler avec une autre, Camille oblige ses assistants à coucher avec elle, Frederick a les narines usées par la coke…

Ils ont beau avoir tout eu dans leur vie, ils restent frustrés et aigris.

Dans cet univers de privilèges et de luxe, les enfants Usher ont toujours cherché leur place dans l’ombre de la réussite de leur géniteur. Chacun porte ce nom de famille -en or- comme un fardeau, et non comme une chance. Ils sont riches, mais riches de quoi finalement ? Leur richesse matérielle masque leur pauvreté émotionnelle. La série nous fait comprendre que leur statut social est une malédiction, au sens propre comme au figuré.

Roderick est un personnage plus nuancé. Il est pourri, mais à l’approche de la mort, il est bouffé par les remords. On s’attache à lui, contrairement à sa sœur, Madeline, qui est une espèce de sorcière habillée en Chanel. Son personnage ne cesse de monter en puissance au fil des épisodes et d’étonner par sa cruauté. Au fond, contrairement à Roderick, elle n’a rien d’autre dans sa vie que son entreprise. Pas d’enfants, pas de mari. Et elle est prête à tout pour Fortunato.

Ce sont les personnages secondaires et les “pièces rapportées” qui insufflent un peu d’humanité à la famille. Ou essaient du moins, tant ils sont écrasés et méprisés. Par exemple, Juno, la nouvelle femme de Roderick (la 6ème), n’est vue par les enfants Usher que comme une “toxico-gothique”. Lenore, la petite-fille, se fiche quant à elle de l’empire familial et de l’argent. Elle a du caractère, et fait la fierté de son papy, à qui elle coupe la chique en fin de série : “Grand-père, t’est tellement riche que tu pourras jamais tout dépenser. Et moi non plus d’ailleurs…”

Un final qui décoiffe

Les trois derniers épisodes sont les meilleurs.

On ne décroche plus ! On veut que toutes ces crevures paient, mais en même temps… on s’y attache un peu. C’est toute la magie de la série qui parvient à rendre attachant des personnages sans âme. Peut-être qu’on les plaint, finalement, ces riches. Car ils ont beau vivre sous les dorures, l’odeur de la merde est la même pour tout le monde. Et les Usher s’en prennent des seaux.

Tous les mystères installés par la série sont levés, un après l’autre, intelligemment. Les flashbacks se multiplient pour nous permettre de connecter les éléments entre eux et de rassembler toutes les pièces du puzzle.

La série s’offre le luxe de marquer les esprits avec une scène qui met Roderick Usher devant ses responsabilités. Elle est visuellement époustouflante et hautement symbolique. Une autre séquence joue plutôt la carte de l’émotion, et renforce ce sentiment : naître dans une famille aussi riche et puissante est une malédiction…

Une série horrifique très politique

La série surprend par sa dimension politique.

Le dernier monologue de Madeline Usher terrasse tout sur son passage : ces “putains d’humains”, McDonald’s, la Cour suprême américaine et… les “flippés de la queue”. Une bonne partie des absurdités de notre espèce sont déteints dans la bouche de Madeline.

La Chute de la maison Usher est plus qu’une simple série horrifique, ce qui explique pourquoi certains fans de Flanagan aient été déstabilisés par ce ton plus sérieux que d’habitude. Le réalisateur sort la sulfateuse pour dénoncer la vanité, la cupidité et l’insatiable soif de pouvoir de l’être humain, et livre un discours nihiliste.

À travers l’empire pharmaceutique Fortunato des Usher, la série pointe du doigt les consommateurs crédules prêts à gober n’importe quelle campagne marketing, et les esprits plus rusés qui exploitent cette naïveté pour leur propre enrichissement. Même au prix de la souffrance et de la mort. Mais qui engendre qui, comme le questionne Madeline dans son monologue ?

Durant 8 épisodes, on assiste à la chute inexorable d’une famille qui a construit sa gloire sur une pyramide de cadavres, dans une sensation de toute puissance. Mais leur empire de la mort est fragile depuis sa première brique et voué à l’effondrement. À défaut de la Justice des Hommes, qui ne parvient pas à les faire condamner, c’est la Justice du karma qui vient se charger de faire chuter la maison Usher.

Regardez la série en mode punk !

Dans sa première couche, La Chute de la maison Usher est un bon divertissement. Si vous n’êtes pas un adepte du genre horrifique, ne vous arrêtez pas à cela. Car dans sa seconde couche, Mike Flanagan propose bien plus que des scènes gores mises bout à bout. Il signe un brûlot contre le capitalisme, les ultra-riches, les empires pharmaceutiques. Il tape sur la Justice, faible avec les forts et forte avec les faibles. Sur les multinationales et leurs milliards, qui vendraient n’importe quoi pourvu que cela leur rapporte. Et sur les médias, qui raconteraient n’importe quoi pourvu que leurs audiences grimpent.

Voir une série qui tranche dans le vif sans concession est un plaisir à ne pas bouder. Au contraire. Profitez-en pour faire ressortir le rebelle qui est en vous. Pour une fois que ce ne sont pas toujours aux mêmes de rendre des comptes…

 

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Julien Hamy

Trentenaire. Papa. Ancien collaborateur parlementaire à l’Assemblée nationale. Pas sûr que Popkorn me permette de mettre du beurre dans les épinards... Mais du baume au cœur, c’est certain !