Le ciel est à vous : un chef d’œuvre durant l’occupation

30 janvier 202479/1001514

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Sortie
02/02/1944
Réalisateur
Jean Gremillon
Durée
1h45min
Acteur(s)
Madeleine Renaud, Charles Vanel, Anne Vandène
Taux de réussite
Répartition
Scénario/dialogues
80%
Réalisation
90%
Acting
80%
Décors
70%
Musique/Son
75%
Avis en bref
Le ciel est à vous représente le meilleur du cinéma français sous l’occupation allemande, et il serait opportun de le projeter à nouveau aujourd'hui.
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Un âge d’or pour le cinéma français ?

Paradoxalement, malgré toutes les contraintes et les difficultés auxquelles il a dû faire face, le cinéma français durant l’occupation a connu en quelque sorte un âge d’or. Le cinéma américain n’arrivant plus jusqu’en Europe, et le cinéma allemand et italien n’étant devenu que de la propagande nazie et fasciste, le public n’avait guère d’autre choix que de se tourner vers les films français.

Le cinéma français régnait sur ses propres écrans.

Et c’est tant mieux, car le nombre de cinéastes de talent à cette époque est remarquable. Parmi eux, on peut citer Henri-George Clouzot, Jean Renoir, Claude Autant-Lara, Marcel Carné, Robert Bresson, Christian-Jacque, et bien sûr Jean Grémillon.

Si Grémillon devait se démarquer des autres, ce serait par son attachement à filmer la réalité du quotidien des gens ordinaires et à dévoiler la sensibilité de ses personnages. Il fut par exemple le premier réalisateur avec lequel Jean Gabin avait travaillé et qui lui avait demandé de pleurer devant la caméra dans Gueule d’amour (1938).

Le ciel est à vous s’inscrit dans cette continuité, et Jean Grémillon a spécifiquement choisi deux comédiens, Charles Vanel et Madeleine Renaud, dont les physiques rappellent des gens que lon pourrait tout à fait rencontrer dans la rue, pour interpréter un couple. Grémillon ne sintéresse pas ici au côtéglamour”, mais bien à la routine dun mariage on ne peut plus banal.

Le ciel est à vous, ça parle de qui, ça parle de quoi ?

Pierre et Thérèse Gauthier sont un couple de garagistes. Ils ont deux enfants, un garçon et une fille, et vivent également avec la mère de Thérèse, une femme aux valeurs familiales traditionnelles bien ancrées.

Un jour, ils se retrouvent expropriés de leur maison, car un aérodrome va bientôt y être installé.

Si tout semblait en apparence bien se passer entre Pierre et Thérèse, les soucis financiers dus au déménagement et la routine vont fragiliser le couple. C’est en profitant de l’absence de Thérèse que Pierre se remet à sa passion d’autrefois, l’aviation. Lorsque Thérèse le découvre, elle désapprouve totalement Pierre et l’empêche d’à nouveau piloter. Mais c’est à la suite d’un concours de circonstances que Thérèse va finalement faire son baptême de l’air et en reviendra totalement transformée. Elle encourage alors Pierre à s’investir, avec elle, dans ce qui est désormais sa nouvelle passion. Bien que cette activité prenne le dessus dans leur vie, et grignote considérablement leurs économies, elle va également permettre au couple de briser la routine et de renforcer son amour.

Attention, ce flim n’est pas un flim sur le cyclimse, ni sur l’aviation

Le ciel est à vous est un film sur l’amour, mais pas n’importe lequel.

S’éloignant encore du conventionnalisme, Grémillion ne choisit pas de s’intéresser au coup de foudre, ni à la rupture et encore moins à l’infidélité, pourtant beaucoup “plus vendeurs”. Il s’intéresse plutôt à l’amour qui dure, l’amour qui traverse le temps, qui survit justement à la routine et à la lassitude. C’est un sujet qui, sans doute jugé trop ennuyant, même encore aujourd’hui, n’intéresse que très peu les cinéastes Pourtant, Grémillon aborde le sujet d’un angle très intéressant et en fait un film captivant.

Ce film a également, dans le contexte de l’époque, quelque part, un côté résistant. Il sort en février 44, lorsque la France est sous le régime de Vichy. Le parcours, ou plutôt la transition qui se déroule dans la vie de Thérèse est un pied de nez à l’idéologie « Travail, Famille, Patrie ». Le fait que grâce à l’aviation, Thérèse s’émancipe de sa condition de femme au foyer, et qu’en plus, cette émancipation fasse le bonheur du couple, est en totale contradiction avec l’idée que les pétainistes se faisaient du rôle de la femme.

Ce point est d’ailleurs directement mis en lumière lors d’une scène où le conseil municipal refuse un prêt pour les Gauthier et où l’un des personnages dit que la place de la femme est à la maison pour s’occuper des enfants.

On peut même s’avancer sur le fait que le film puisse être féministe, encourageant à une évolution du rôle des femmes dans la société.
Madeleine Renaud (Thérèse Gauthier) dans Le ciel est à vous
Madeleine Renaud (Thérèse Gauthier) dans Le ciel est à vous

Le personnage de Thérèse, avec ses doutes et ses aspirations, représente cette évolution, se plaçant entre deux générations, celle de sa maman, aux valeurs très traditionnelles, et celle de sa fille Jacqueline, qui elle assume dès son plus jeune âge sa passion (le piano, comme Grémillon lui-même, pianiste) jusqu’à désobéir à ses parents en suivant des cours en secret.

Rebondissons sur ces deux personnages, la grandmère et la fille, car ils mettent en lumière une autre qualité de Grémillon, à savoir ses seconds rôles. Aucun n’est par hasard, chaque rôle représente une idée, un contexte, un sentiment, un doute ou une contradiction. L’un représente la folie, l’autre la raison. Tout a un sens dans le cinéma de Grémillion, un cinéaste particulièrement méticuleux.

Grémillion, à travers le titre, semble également vouloir adresser directement un message au spectateur. Le ciel est à vous, pourquoi pas à nous ?

Les habitants de la petite bourgade vit et évolue le couple, semblent, jusquà la dernière partie du film, ne pas exister tant les personnages principaux sont repliés sur euxmêmes. Pourtant, ces habitants exercent une forte influence sur Thérèse, plus que sur Pierre, qui accorde de limportance au regard de la société. Cette société qui nhésite pas à juger, à blâmer et même à menacer Pierre lorsque la passion du couple se déroule mal, mais qui, à linverse, peut le glorifier lorsque cette même passion conduit à lexploit. Le cinéaste nous fait comprendre que la société est comme un moule qui nous façonne et dont il faut avoir le courage de saffranchir pour aller à contresens, réaliser nos rêves et vivre nos passions. Malgré les embûches, à la fin, le jeu en vaut la chandelle.

Pour Pierre et Thérèse, cette passion se trouve dans le ciel. Et si Grémillon, à travers le titre, nous invitait à vivre nos rêves et à prendre notre envol, comme Thérèse ?

Le ciel est aussi aux allemands…

Pour ce film, Grémillon a dû démontrer toute son ingéniosité de metteur en scène pour pallier une difficulté majeure : les avions.

En effet, bien que l’aviation soit un élément central du film, les difficultés techniques et celles liées à l’occupation, ont forcé Grémillon à composer avec ce qu’il avait. Les avions dans le film sont tous des avions de tourisme et de loisirs et l’avion que pilote Thérèse ne dispose que d’une seule place, ce qui rendait impossible d’embarquer une caméra. Elles étaient bien trop lourdes à l’époque.

De plus, pendant loccupation allemande, le ciel était sous haute surveillance et il aurait été très dangereux de sy aventurer sans permission. Grémillon a dailleurs jouer de ses relations, nouées pendant la période durant laquelle il a travaillé dans des studios de Berlin, pour obtenir les autorisations nécessaires afin de filmer audessus de laérodrome. Cest pour cette raison que toutes les rares scènes lon voit des avions dans les airs sont des décollages ou des atterrissages.

L’autre astuce de Grémillon a été de filmer les avions au sol et d’utiliser la technique du hors-champ, c’est-à-dire de filmer les réactions des personnages regardant les avions. Il y a également un gros travail sur le son des engins. C’est d’ailleurs un point sur lequel Grémillon a toujours attaché beaucoup d’importance : ses films ont tous un univers sonore. Il le prouvera à une autre occasion dans le film, en dehors des scènes d’aviation, dans une séquence qui relève presque du film noir, dans laquelle Pierre se sent menacé par la foule, scandant le nom de Gauthier. Une scène totalement remarquable, probablement la meilleure du film.

Les salles de ciné dans le noir
Charles Vanel (Pierre Gauthier) dans le Ciel est à vous
Charles Vanel (Pierre Gauthier) dans le Ciel est à vous

Le film est sorti en février 1944 dans des conditions particulièrement difficiles, car les bombardements commençaient à s’intensifier dans certaines régions du pays, provoquant des coupures d’électricité. C’est pour cette raison qu’il fut à nouveau diffusé dans les salles après la libération.

Le film a vu le jour grâce au producteur Raoul Ploquin avec qui Jean Grémillon travailla à plusieurs reprises, non pas en France, mais à Berlin. Ploquin travaillait dans un célèbre studio allemand pendant l’entre-deux guerres. Les studios allemands bénéficiaient d’une modernité que les Français n’avaient pas et donc beaucoup de films français furent tournés à Berlin.

Critiques en contradiction

L’accueil du film fut très positif, aussi bien du côté du public que de la presse qui fut unanime, mais pour des raisons différentes, en contradiction même.

Durant cette période, tout n’était que politique et chaque film sortant en salle était appréhendé sous cet angle. Mais paradoxalement, aussi bien la presse pétainiste que résistante salua le film. De toute évidence, l’un ou l’autre parti était passé à côté du message de Grémillon… Les premiers pensaient que la passion des Gauthier pour l’aviation n’était qu’une folie passagère et que Thérèse, après avoir manqué de peu le drame et l’éloignement de sa famille, reviendrait à la raison et retournerait à la place qui lui revient, à savoir le foyer. La presse résistante, elle, ne voyait que l’émancipation de la femme.

Malgré tout, lattachement de Grémillon à filmer des gens ordinaires ne plut pas à tout le monde et notamment à René Barjavel qui estima que le film était dune grande banalité.

Pour ma part, 80 ans plus tard, je considère ce film comme un chef-d’œuvre du cinéma français durant loccupation, dune grande tendresse, en avance sur son temps et dune grande technicité. Le tout servi par les performances exceptionnelles de Charles Vanel et de Madeleine Renaud.

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Julien Hamy

Trentenaire. Papa. Ancien collaborateur parlementaire à l’Assemblée nationale. Pas sûr que Popkorn me permette de mettre du beurre dans les épinards... Mais du baume au cœur, c’est certain !