Napoléon : le pâté impérial de Ridley Scott

22 janvier 202440/1001348

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Sortie
22/11/2023
Réalisateur
Ridley Scott
Durée
2h38min
Acteur(s)
Joaquin Phoenix, Vanessa Kirby, Tahar Rahim
Taux de réussite
Répartition
Scénario/dialogues
30%
Réalisation
40%
Acting
20%
Décors
70%
Musique/Son
40%
Avis en bref
En signant ce qui promettait d’être la fresque ultime sur Napoléon, Ridley Scott réalise une purge indigeste, historiquement mensongère, dépourvue de rythme, d’ambitions visuelles ou narratives, transformant Bonaparte en un pantin geignard et inconsistant dans un film où les affaires privées éclipsent la raison d’État.
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A priori, sur le papier, l’idée de voir Ridley Scott s’attaquer à la vie de Napoléon Bonaparte, avec l’ambition de s’inscrire dans la trajectoire du projet (hélas avorté) de Stanley Kubrick, avait tout pour séduire. Après tout, le réalisateur britannique n’avait-il pas commencé sa carrière par un, déjà, brillant film sur les guerres napoléoniennes avec un Duellistes aussi beau qu’historiquement plausible ? Et n’a-t-il pas, par la suite, fait montre de son talent pour traiter de personnages ambigus, comme le sinistre empereur romain Commode dans Gladiator ou Ellsworth Johnson, le parrain afro-américain d’American Gangster ?

Mais n’a-t-il pas également démontré un certain mépris pour des faits avérés dès lors qu’un mensonge pouvait améliorer la fiction, comme avec House of Gucci ou Le Dernier Duel (qui, à sa décharge, est un film basé sur le mensonge) ?

Ridley, pour le meilleur et pour le pire

Avec derrière lui une filmographie où le meilleur (Alien, Duellistes, Blade Runner et beaucoup d’autres) côtoie le pire (Prometheus, 1492 : Christophe Colomb…), Ridley Scott, âgé aujourd’hui de quatre-vingt-cinq ans, semble habité d’une fièvre qui le pousse à tourner coûte que coûte le plus de films possibles, et peu importent si ceux-ci déçoivent ou vont jusqu’à trahir son œuvre antérieure. La quantité, plutôt que la qualité : une triste devise qui semble hélas avoir présidé à la mise en place de ce Napoléon, pensum de plus de deux heures trente, dont on annonce déjà qu’il n’est en fait que la “bande annonce” d’une version longue de quatre heures prévue pour être diffusée sur Apple TV.

Napoléon & Joséphine

Son Napoléon s’intéresse donc au parcours de Bonaparte, de son rôle dans la répression des émeutes parisiennes durant la Terreur à sa mort à Sainte Hélène, une vie envisagée presque exclusivement à travers le prisme de sa relation amoureuse avec Joséphine de Beauharnais. Pourquoi pas ? mêler la grande Histoire et l’intime peut offrir un point d’ancrage humanisant des événements historiques souvent abstraits…

Si ce n’était que Ridley Scott semble se moquer comme d’une guigne aussi bien de l’Histoire que de ses personnages, réduits à des coquilles vides inexpressives. Ainsi, de Napoléon lui-même, incarné de ses vingt-cinq ans à sa mort par le même Joaquin Phoenix, qui a l’air de s’ennuyer ferme d’un bout à l’autre et dont le jeu d’acteur se contente à soupirer d’un air las ou des multiples souverains, généraux et membres de la famille qui n’y sont que des silhouettes anonymes. Seule Vanessa Kirby, dans la peau de Joséphine s’en tire un peu mieux.

Une Bérézina historique

Défaillant du point de vue des personnages, le film est par ailleurs une véritable Bérézina historique, Ridley Scott manipulant les faits ou les inventant purement et simplement pour satisfaire son désir de “faire de l’image” : c’est ainsi qu’on voit les troupes napoléoniennes tirer au canon sur les pyramides d’Égypte, Bonaparte rentrer précipitamment en France en apprenant que sa femme l’a trompé ou encore faire sauter les remparts de Toulon, autant d’événements qui n’ont jamais eu lieu, ce que Ridley Scott balaie (comme toute critique d’ailleurs) d’un méprisant “Qu’est-ce que t’en sais ? Tu y étais ?”.

Film historique sans Histoire, donc, mais également film à grand spectacle sans spectacle car, il faut bien le dire, on s’ennuie beaucoup durant les deux heures trente d’un métrage qui semble totalement dépourvu de point de vue et se contente d’aligner des séquences “pittoresques” et esthétisantes entre d’hallucinantes ellipses qui rendent le film incompréhensible. Peut-être est-ce dû aux coupes nécessaires pour cette version cinéma, mais on peut douter que la version longue y changera grand-chose.

Naboléon

Réduit à la petitesse d’un général aux tactiques militaires douteuses, tourmenté (mais pas trop) par son amour pour son épouse, caractériel (à peine), Napoléon n’y est plus que ridicule et ne ressemble en rien à l’Empereur qui a conquis l’Europe, créé ou réformé des dizaines de lois ou d’institutions encore actives de nos jours, ou provoqué des centaines de milliers de morts, un fait qui ne nous est exposé qu’à la toute fin du métrage, sous forme de texte, après que des scènes de batailles aussi illisibles que frustrantes aient échoué à nous rendre la boucherie des combats.

House of Ridley

Aussi dispendieux (200 millions de dollars de budget quand même) que dépourvu d’ambition narrative ou visuelle, fade et lisse, historiquement mensonger, voire malhonnête, accablé par une mise en scène anémique, une absence totale de rythme et une colorimétrie clippesque à vomir, Napoléon est le prototype du film inutile… Mais Ridley Scott s’en fout, il est déjà passé à autre chose et se prépare à gâcher son travail sur Alien ou Gladiator par de nouvelles séquelles.

Dommage pour les cinéphiles qui devront, pour trouver un Napoléon Ier convainquant, se tourner vers le Napoléon d’Abel Gance qui, dès 1927, avait mieux su rendre la démesure tragique du personnage historique.

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Jean-François Micard

Premières chroniques dans divers fanzines au cours des années 1990, puis participe à la création et à la vie des magazines Elegy puis D-Side entre 1998 et 2010. Auteur d'un guide de la musique industrielle (Signal Zero Editions). Passionné par les musiques bruitistes, industrielles et gothiques, et par les mauvais genres cinématographiques et littéraires, continue aujourd’hui à répandre le virus dans des bibliothèques qui n’en demandaient pas tant et à travers la webradio dsideradio.com. Chronique à ses (rares) heures perdues des polars et de la SF pour le site k-libre.fr.