The Killer : un film qui tue?

30 novembre 202350/1001167

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Sortie
10/11/2023
Plateforme
Netflix
Réalisateur
David Fincher
Durée
1h59min
Acteur(s)
Michael Fassbender, Tilda Swinton, Arliss Howard
Taux de réussite
Répartition
Scénario/dialogues
15%
Réalisation
50%
Acting
85%
Décors
30%
Musique/Son
70%
Avis en bref
The Killer ne marque pas le grand retour de David Fincher. À l’image du plus redoutable des tueurs à gages, il ne laisse aucune trace dans l’esprit. Fincher, comme son antihéros, rate sa cible.
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David Fincher a du caractère. Exilé depuis quelques années sur Netflix, où il a déjà signé le très inaccessible Mank et l’excellente série partie trop tôt Mindhunter (il a également réalisé des épisodes de House of Cards), le réalisateur américain semble plus que jamais partir en croisade contre les salles de cinéma qu’il décrit comme un “endroit humide, malodorant et graisseux.” Un peu comme l’ambiance poisseuse de Seven, en fait. Soit Fincher est excessif, soit la France s’en tire plutôt bien. Avez-vous franchement la sensation de vous faire une toile dans la crasse ? Moi, non.

Quoiqu’il en soit, Netflix et Fincher, c’est une affaire qui roule, puisque le réalisateur vient de dévoiler son tout dernier long métrage sur la plateforme : The Killer, tueur à gages froid et méthodique interprété par Michael Fassbender.

On pourrait débattre des heures sur la question : un grand film doit-il nécessairement être vu sur un grand écran ? Il y a de bons arguments de part et d’autre. Mais si je devais me mouiller, je dirais que le regret de voir un grand film en petit est d’autant plus… grand. Bref, tout ceci est encore une affaire de taille.

The Killer tue d’ennui

The Killer est-il un bon film, et même un grand film ? Eh bien non, ni l’un ni l’autre.

Je vais même jusqu’à dire qu’il s’agit du film le plus mineur du cinéaste, titre décerné par beaucoup à Panic Room, sorti en 2002. Je ne partage pas ce constat, tant Panic Room est maîtrisé et captivant de bout en bout. On s’attache aux personnages interprétés par Jodie Foster et Kristen Stewart, et on se surprend à avoir peur pour eux.

The Killer est quant à lui prévisible, lisse. On ne s’attache ni au protagoniste principal, ni à sa quête. Fassbender est pourtant très bon, mais l’écriture de son rôle ne lui permet pas de gagner en épaisseur et en profondeur. Maintenir Fassbender dans un anonymat émotionnel résulte probablement d’une volonté artistique, Andrew Kevin Walker étant un scénariste confirmé (il est derrière Seven…)

Il est donc permis de se questionner sur les réelles motivations de Fincher. Souhaite-t-il seulement filmer l’ennui et le vide ? Ou rompre avec son propre cinéma, habituellement fait de rebondissements, de twists et de tricotages narratifs ? Car le réalisateur empile ici les scènes avec froideur, et sans volonté de nous surprendre. Tout dans The Killer est moyen. Les plans ne sont pas laids, mais ils sont anecdotiques. La photographie n’est pas hideuse, mais classique. La musique n’est pas marquante, tout en étant présente. Fincher fait le job, maîtrise sa technique, sans en faire plus. Il semble lassé par son art, et se permet de le dire là où aucun producteur ne le freinera : une plateforme de streaming, Netflix en l’occurrence.

Oui, ce film est à mon avis un doigt d’honneur adressé à son passé hollywoodien.

Non, rien de rien

Fincher n’a pas envie de nous mettre des claques, comme il a pu le faire dans Fight club ou Gone girl par exemple (la scène bien gore du meurtre du personnage campé par Neil Patrick Harris est mémorable). Il semble se censurer lui-même et s’interdire d’avoir le moindre impact viscéral sur le spectateur.

Écartons de ce constat la scène d’ouverture du film (et le générique, plutôt sympa). Car bien qu’elle puisse paraître morne, elle revêt une importance cruciale. Elle nous désoriente en présentant le “métier” de tueur à gages de façon originale. Contrairement à l’image que l’on pourrait se faire, à savoir d’un train de vie effréné, le travail est présenté comme laborieux et monotone. Michael Fassbender parvient à transmettre cette réalité avec une précision saisissante : il attend avec patience, analyse chaque détail, évalue méticuleusement les espaces, entretient son corps et son équipement. Il est prêt à dégainer, à tirer et à disparaître sans laisser la moindre trace. Il incarne la rigueur et la discipline nécessaires pour exceller dans ce métier.

Le point culminant de cette scène d’ouverture (la mission ne va pas se passer comme prévu…) devrait être le déclencheur qui propulse le film vers l’effervescence. Chouette, me suis-je dit ! Malheureusement, le film ne décollera jamais.

On attend inlassablement une étincelle, une lueur d’innovation, une scène qui décoiffe, mais rien… La fuite dans les rues de Paris illustre parfaitement ce manque de créativité. Elle est plate, et ce, malgré un déluge d’effets spéciaux (vous ne les aviez pas remarqués hein ? Regardez cette vidéo). La scène de baston chargée en testostérone qui intervient au milieu du film est intéressante, mais a le goût de déjà-vu. On est en droit d’attendre bien plus de David Fincher, qui joue dans la cour des grands. On attend qu’il transcende, innove, surprenne, et non qu’il refasse (même s’il fait souvent mieux).

Les seconds rôles, comme celui de Tilda Swinton, ne parviennent pas non plus à donner du relief au film.

The Killer se termine en eau de boudin

Après avoir suivi une intrigue déroulée sans surprise, on se retrouve face à une fin qui ne parvient pas à cristalliser un message clair.

La conclusion aurait pu être la bouée de sauvetage du film, capable de lui insuffler une autre signification et de rebattre les cartes (à la manière d’un M. Night Shyamalan), mais il n’en est rien. Fincher se contente de clore un récit déjà dépourvu d’éclat, ne faisant que parachever un ensemble insipide. Certains perçoivent une complexité dans la conclusion, et y décèlent des messages cachés. Par exemple, pour Cinemateaser, le film “cache une bombe à fragmentation aux échos indélébiles”. Pour ma part, il semble que je sois passé à côté de ces subtilités…

À ma grande déception, The Killer ne marque pas le retour de David Fincher au sommet.

Mank avait été très bien reçu par la critique, mais je n’avais quant à moi pas adhéré aux propos et aux partis pris artistiques. Le dernier bon film du réalisateur remonte selon moi à 2014, année de sortie de Gone Girl sur grand écran. Je n’irai pas jusqu’à dire qu’on assiste ces dernières années à la chute de Fincher, mais force est de constater que son cinéma manque cruellement d’ambition. Depuis qu’il a changé de support, il semble avoir changé de dimension. Et le pire, c’est qu’il a l’air de le faire exprès ! Car il signe avec The Killer une allégorie de son propre état d’esprit : il s’ennuie, il est lassé par son art.

Et si c’était Fincher, The Killer ?

Un type plutôt doué qui tue l’ennui en partageant ses pensées désabusées sur l’état du monde, comme le fait Fassbender tout au long du film ? Un gars qui se tient prêt à flinguer, dès qu’il le peut, le système hollywoodien (et les salles de cinéma graisseuses) ? Un type capable de disparaître sans laisser de traces ?

Car oui, The Killer réussit au moins cela… à l’image du plus redoutable des tueurs à gages, il ne laisse aucune trace dans l’esprit. Fincher, comme son antihéros, rate sa cible.

 

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Julien Hamy

Trentenaire. Papa. Ancien collaborateur parlementaire à l’Assemblée nationale. Pas sûr que Popkorn me permette de mettre du beurre dans les épinards... Mais du baume au cœur, c’est certain !